Se rallier au roi, avril 1814 - L'exemple de la cour d'appel de Lyon.

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A la fin du mois de mars 1814, la situation de Napoléon semblait désespérée, tant sur le plan politique que militaire. De fait, après deux jours de combat, Paris capitula le 31 mars et dès le 3 avril, le Sénat Conservateur, habilement manoeuvré en sous-main par Talleyrand-Périgord, décidait, à une écrasante majorité, la déchéance de Napoléon. Au même moment, les maréchaux Berthier, Ney et Lefèbvre, pressaient quant à eux l’Empereur, réfugié au château de Fontainebleau, d’abdiquer en faveur de son fils, le « roi de Rome ». A dater du 8, le conseil municipal lyonnais reconnut Louis XVIII comme « roi de France et de Navarre », et ce, avant même Paris. Quatre jours plus tard, ce fut cette fois au tour de la cour d’appel d’être réunie en corps constitué, afin d’arrêter la conduite à tenir face à la « déchéance de Napoléon Bonaparte », événement ayant pour corollaire de dénouer l’ensemble des fonctionnaires du serment de fidélité prêté à l’Empereur en 1804. Ainsi, c’est dans ce cadre institutionnel que s’inscrit la harangue du procureur-général Pierre-Thomas Rambaud, baron de la Sablière, prononcée devant ses pairs le 12 avril 1814.

Nul doute que la cour d’appel fut réunie à l’instigation de Vouty de la Tour, manifestement soucieux que le silence de cette dernière ne puisse être assimilé par le pouvoir central à de l’indifférence. Il convenait donc de la convoquer afin qu’elle proclamât – publiquement – sa satisfaction à l’annonce de la déchéance de l’Empereur. En revanche, c’est Rambaud, connu de longue date à Lyon pour ses qualités rhétoriques, qui prit la parole et rappela, en préambule, les circonstances, annonciatrices des bouleversements à venir, présidant à cette réunion : « Un acte solennel du Sénat a prononcé que Napoléon Bonaparte avait encouru la déchéance du titre d’Empereur des Français et a pour toujours exclu sa famille ». L’orateur témoignait là de sa remarquable capacité d’adaptation aux événements, lui qui, moins de trois mois auparavant,  avait dans une envolée enflammée, renouvelé « de son plein gré » son adhésion « irréfragable » à Napoléon et à son régime. Aussi radicale qu’elle puisse paraître, cette posture n’était pourtant guère surprenante, d’autant que « mars-avril 1814 constitu[ait] bien un tournant dans la fonction politique et dans l’histoire de l’auto-persuasion des fonctionnaires à pouvoir servir indifféremment des régimes par nature opposés »[1].

Le magistrat se livra ensuite à un éloge appuyé des puissances alliées, où il usa, voire abusa, du champ lexical de la générosité, censé porter aux nues la reconnaissance des Français à leurs vainqueurs : « Les hautes puissances alliées donnent au monde un exemple de grandeur d’âme auquel rien ne nous préparait dans les annales de l’histoire. Elles n’ont occupé la France que pour lui procurer la paix que tous nos vœux ont si longtemps vainement appelée ». L’expression de cette gratitude à l’égard des alliés semble cependant une spécificité lyonnaise, ville qui n’eut à subir ni exactions, ni pillages de grande ampleur. Sans être trop déterministe, on peut également postuler que ces propos de Rambaud reflétaient alors, plus largement, les principes idéologiques d’une grande majorité des élites lyonnaises. L’ex-procureur impérial poursuivit par une nette dichotomie entre, d’un côté, les « hautes puissances alliées » – matérialisées à Lyon par les troupes d’occupation autrichiennes –, garantes de tranquillité à l’échelle nationale mais également européenne, de l’autre, Napoléon, désormais déchu et seul obstacle à l’harmonie européenne. De fait, les paroles de Rambaud induisaient l’idée selon laquelle Napoléon, par ses guerres incessantes, avait contribué à la ruine économique de la ville tandis que la Restauration à venir promettait, quant à elle, la disparition du blocus maritime, la reprise des relations commerciales et la réouverture des marchés étrangers aux productions textiles lyonnaises. De même, son discours était finalement très significatif de l’état d’esprit, à la chute de l’Empire, de nombre de Français – et pas nécessairement des seuls notables –, puisque, au-delà des préoccupations matérielles, le retour à l’état de paix impliquait également la sauvegarde des fils.

Le procureur introduisit alors un nouvel acteur : la dynastie des Bourbons. A cette occasion, contrairement à nombre de délibérations émanant de maires ou de fonctionnaires rhodaniens, il n’établit pas explicitement de lien de cause à effet entre la victoire des coalisés et le rétablissement de la maison de Bourbon. Au contraire, beaucoup plus subtilement, Rambaud avança que les coalisés n’étaient que les protecteurs du tout jeune régime monarchique, sans en être néanmoins à l’origine. Ils n’avaient, selon lui, apporté qu’une  aide – militaire – à la reconquête du trône d’un souverain dont le rétablissement « calmera[it] enfin les inquiétudes de l’Europe ».

Enfin, la harangue de Rambaud laissait planer une certaine ambiguïté quant aux modalités de son propre ralliement et de celui de ses pairs. Assurément, son discours était empreint de flagornerie, et n’échappait pas non plus aux soudaines déclarations d’amour envers les Bourbons, ces « princes augustes de cette race, qui, pendant tant de siècles, a fait le bonheur de la France, et dont la malheureuse interruption a causé tant de mal à la patrie », qui pouvaient enfin s’exprimer après avoir été contenues durant tout l’Empire [« nous pouvons donner un libre cours à nos souhaits, à nos espérances, nous pouvons nous abandonner au mouvement universel qui entraîne les cœurs de tous les Français vers cette antique et noble Maison »]. De même, il s’achevait par un très direct et très explicite « Vive le Roi ». Cependant, les marques de soumission dont Rambaud fit étalage ne servaient-elles pas plutôt les intérêts de futures revendications inhérentes à un programme politique cohérent ? La référence à « la mise en œuvre d’une constitution libérale » – assez proche de l’idée d’une « Charte constitutionnelle » – démontre, précisément, que, dès la chute de Napoléon, les élites s’employèrent à tirer les leçons de l’expérience de l’Empire autoritaire, en posant les fondements d’un texte propre à garantir tout autant une vie politique libérale que la libre expression des particuliers.

Ce discours est, en quelque sorte, une clef pour saisir les revirements individuels d’un magistrat lyonnais face à un contexte de transformations politiques majeures, qui vit se succéder un Empire puis une royauté. De même, il témoigne, plus largement, de la capacité d’adaptation des fonctionnaires. Soumis à des « vents changeants », il apparaît qu’ils avaient parfaitement intériorisé leur vocation de « serviteurs de l’Etat », quels que furent, d’ailleurs, les bouleversements institutionnels et politiques auxquels ils pouvaient être confrontés. De fait, cet appel à rallier la monarchie restaurée s’inclut, à l’évidence, dans une culture de l’effet de parole qui n’engageait pas son émetteur autant que le lecteur aurait volontiers pu le croire.

[1] Serna, Pierre, La République des Girouettes, 1789-1815 et au-delà : une anomalie politique, la France de l’extrême centre, Seyssel, Champ-Vallon, 2005, p. 157.

La localisation correspond au Palais de Justice ancien, où a été construit le Palais de Justice "aux 24 colonnes" dont les travaux se sont achevés en 1847.

Bibliographie

  • Rey, Jean-Philippe, Grands Notables du 1er Empire - Le Rhône, 30 (Paris: Guénégaud, 2011), 205.
  • Serna, Pierre, La République des Girouettes, 1789-1815 et au-delà : une anomalie politique, la France de l’extrême centre (Seyssel: Champ-Vallon, 2005), 570.
  • Thoral, Marie-Cécile, "L'administration locale en temps de crise : le cas de l'Isère en 1814-1815," Annales Historiques de la Révolution Française 339 (2005): 117-135.