Meeting anti-fasciste à la Bourse du Travail de Lyon.
Ce document est une affiche qui porte sur l'organisation politique d'un rassemblement contre Mussolini le 25 octobre 1934 à Lyon. Sa production et sa mise en circulation visent à rassembler les communistes et militants français et italiens afin de les mobiliser pour un meeting, au 39 cours Morand dans le quartier des Brotteaux. Imprimée au 46 rue de l’Université à l'Imprimerie Intersyndicale lyonnaise, elle fut mise sur la scène publique par plusieurs organisations communistes françaises, dans le cadre d'une volonté de rapprochement des organisations pour former une opposition forte aux dérives du régime de Mussolini.
Parmi ces organisations politiques, les Comités prolétaires antifascistes et le Secours rouge international sont au premier plan, mais aussi l'Union Régionale des Syndicats Unitaires, le Parti Communiste SFIC, l'Association Républicaine des Anciens Combattants et les Jeunesses Communistes.
Le contexte dans lequel ce document s'insère s'avère être particulièrement intéressant, au sens où Lyon occupe une place essentielle dans la migration italienne reposant sur l'opposition politique. Cette migration s'accentue des suites des débordements fascistes et se développe également à Marseille ou encore à Paris. Elle débute dès les premières violences fascistes en 1920 et se renforce après la Marche sur Rome en 1922, ainsi qu'après la création des lois Fascitissimes en novembre 1926, qui sonne la fin des libertés d'expression et de presse, la création de la police politique (OVRA) et la dissolution des partis.
La dénonciation des abus du régime fasciste apparaît dans tout le corps de l'affiche et forme le moteur de l'initiative et de l'incitation au rassemblement «per elevare il vostro grido di protesta». Les nombreuses violences et «assassinat(s) de milliers d'ouvriers» par les «chemises noires», «hordes» au service de Mussolini commencent dès 1920. Les Squadristes s'en prennent en effet aux locaux des syndicats, des journaux, aux bourses du travail et aux municipalités socialistes italiennes. Par la suite, ils ont pour mission d'éliminer systématiquement les opposants déclarés qui pourraient nuire au régime.
Il est ainsi fait référence à l'anarchiste italien Sozzi, exilé en Espagne avant d'être assassiné sur ordre de Mussolini en prison. De même, le député socialiste Mattéotti attaque Mussolini en 1924 sur les violations de la liberté électorale. Représentant alors une menace potentielle pour le régime fasciste, il est enlevé au mois de juin 1924 pour être tué, son corps n’étant retrouvé qu’au mois d’août.
Michele Della Maggiora se réfugie à Marseille de 1924 à 1926 avant d'être arrêté, jugé et exécuté le 18 octobre 1928 pour les meurtres de deux fascistes dans son village de Toscane, Ponte Buggianese. Des tracts du Comité prolétaire antifasciste et patronal des victimes fascistes sont distribués par des militants afin de commémorer cet assassinat un an plus tard à Aubagne.
Aussi l'emphase du discours politique cherche à utiliser ce crime pour démontrer sa complète absence de légitimité et la parodie de Justice qu'il implique. Maggiora est victime d'accusations illogiques et infondées, étant «coupable de s'être défendu contre les chemises noires», tout comme Di Modugno est «coupable d'avoir fait justice d’un agent du gouvernement de Mussolini». Cette Justice corrompue et manipulée sert les intérêts du Duce, «ivre de sang prolétarien» pour «faire couvrir ses crimes par un semblant de légalité».
D'autre part, le jeune anarchiste Nicolas Di Modugno assassine le 15 septembre 1927 le comte et vice-consul Nardini au consulat italien de Paris. Il s'apprête alors à être jugé en France au moment de la diffusion publique de cette affiche. Il s'agit donc d'une utilisation politique de l'urgente nécessitée de la mobilisation pour exiger son acquittement. L'exposition de sa situation est un prétexte pour mettre sur le devant de la scène les précédentes victimes de l'injustice du régime.
L'idée selon laquelle «ce nouveau meurtre doit être pour les travailleurs un stimulant dans la lutte qu'ils doivent engager contre la terreur fasciste» est emblématique : il s'agit non seulement d'éviter de nouvelles victimes par un effet de contamination en France des détournements et des parodies de Justice, mais aussi de rapprocher les différents mouvements d'opposition pour le service de leurs objectifs communs, en manifestant un soutien à l'égard des victimes et en honorant leurs mémoires. Les communistes italiens et français se regroupent en comités pour mener conjointement des opérations de sensibilisation de l'opinion face aux abus du Duce et de son «tribunal spécial».
Le choix du lieu de cette manifestation n'est pas effectué au hasard. La Bourse du travail de Lyon, «entre services sociaux et révolution sociale», selon l'expression de David Rappe est incontournable pour l'organisation d'événements politiques, professionnels et culturels au sein de la ville. C'est un outil crucial pour les syndicats et leur organisation. Installée sur le cours Morand pour la première fois à Lyon et depuis 42 ans, elle s'apprête en 1934 à être transférée dans ses locaux actuels, Place Guichard.
Au cours de ce meeting, la participation de figures politiques importantes à l'échelle de la région est à souligner. Félix Brun, membre du comité central de l'ARAC en 1923, avant d'être son président national en 1938 et membre de la direction fédérale du Parti Communiste dans le Rhône ; ou encore l'implication de Georges Lévy, membre du Comité directeur du PCF.
Pourtant, en dépit des nombreuses organisations invoquées, ce meeting n'a pas un écho et une importance retentissante ; il marque, cependant, un jalon non négligeable pour l'année 1934.
En effet, à partir de mai 1934, l'Internationale Communiste change d'attitude et invite le PC à s'allier avec tous les démocrates dans le but de lutter contre le Fascisme. Influencé par cette nouvelle directive, Maurice Thorez plaide en faveur d'un rapprochement avec les socialistes le 26 juin à Ivry. Puis, le 6 février marque le déclenchement d'une dynamique d'union des gauches contre le danger que représente le Fascisme et contre les volontés de l'extrême droite d'établir un régime similaire en France. Ainsi, les sentiments unitaires d'une gauche anti-fasciste s'imposent suite à de violents affrontements à Paris entre les communistes, la police et les différentes ligues.
A Lyon, ces volontés d'unification aboutissent en décembre 1934 avec la création du Comité Central Anti-fasciste de la Région Lyonnaise. La majeure partie des organisations présentes au meeting du 25 octobre se retrouvent parmi les 31 organisations fondatrices du CCARL, à savoir le Secours Rouge International, l'Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC) ou encore les Jeunesses Communistes.
Finalement, en Juillet 1937, les Socialistes et Communistes signent un pacte d'unité d'action dans la lutte contre le Fascisme à Lyon, après la formation de l'Union populaire italienne et la victoire du Front Populaire.
L'organisation de ce rassemblement est donc révélatrice des stratégies politiques mises en place par les militants et orateurs pour utiliser la mémoire des victimes afin de mettre en avant l'idée qu'une mobilisation urgente est nécessaire. Si le rassemblement invoqué le 25 octobre 1934 à Lyon n'a qu'une importance relative, il s'insère dans une dynamique de rapprochement effective des courants communistes et socialistes qui s'opposent aux abus du régime fasciste, tant sur le plan des violences et des meurtres commis que sur les détournements croissants de la Justice.
L'affiche a été numérisée par les Archives municipales de Lyon, 2FI_2305
En Octobre 1934, la bourse du Travail se trouve 39, Cours Morand (aujourd'hui Cours Franklin Roosevelt).
Bibliographie
- MILZA, Pierre, L'Italie fasciste devant l'opinion française 1920-1930 (Paris: A. Colin, 1959).
- NOLTE, Ernst STEPHANO, Paul, Le Fascisme dans son époque, 1. L'action française (Paris: Julliard, 1970).
- VIAL, Eric, "Une organisation de masse du Parti Communiste Italien en exil," L’Union Populaire Italienne 1937-1940 (2007).
- RAPPE, David, La Bourse du travail de Lyon (Lyon: ACL, 2004).