L’échec de la tentative d’annexion de Villeurbanne par Lyon en 1903
Ce document est une affiche appelant les habitants de Villeurbanne à un meeting contre l’annexion de la ville par Lyon, en 1903. Cette affiche est imprimée pour convaincre les Villeurbannais de s’opposer au projet mis en place par le maire de Lyon Victor Augagneur. Le maire de Lyon désirait agrandir la surface du territoire communal, afin de lutter contre l’expansion de Marseille et de s’affirmer comme la deuxième métropole française après Paris. A cette époque, la population trouve des avantages financiers à vivre dans les faubourgs, et donc déserte le centre. Une commission municipale, dont V. Augagneur fait partie, est créée.
L’affiche fait montre d’une une volonté politique qui s’inscrit dans un contexte tendu entre Lyon et sa banlieue. La première affirmation révèle cet aspect du document : « Frapper de stupeur nos ennemis les Annexionnistes». L’annexion est présentée comme une disparation de la commune de Villeurbanne. Faire partie de Lyon signifie perdre son identité. Le discours des anti-annexionnistes s’appuie sur ce sentiment d’identification à la ville. Cette idée est exacerbée par la deuxième phrase de l’affiche. On y évoque « VOUS AVEZ FAIT JUSTICE des accusations formulées contre les habitants de Villeurbanne». Il s’agit d’une référence au fait que le projet d’annexion est un projet unilatéral de la municipalité lyonnaise, et non de collaboration entre les deux communes. En effet, La commission municipale lyonnaise qui travaillait sur ce projet rendit compte de ses travaux en séance publique le 28 février 1903. Le texte insistait sur plusieurs points : il opposait tout d’abord le dépérissement du centre et la croissance prospère des banlieues, soulignait le fait que la Ville-Mère supportait les inconvénients des charges alors que les suburbains n’avaient que des avantages. On trouve aussi l’idée que Lyon entretient seul ses équipements et subit gravement le manque d’hygiène et d’aménagement des banlieues –« La partie la plus populeuse de Villeurbanne constitue un danger constant pour la santé des habitants de Lyon ». Les quatre derniers arguments sont les suivants : l’instruction publique n’est pas assurée complètement par Villeurbanne, ils profitent gratuitement du marché et des Halles de Lyon, les pompiers de Lyon répriment les incendies dans les usines villeurbannaises et enfin la fraude sur l’alcool. L’annexion y est déclarée bénéfique pour la commune de Villeurbanne. La conclusion du rapport est votée à l’unanimité du Conseil lyonnais le 17 mars 1903, sans que la municipalité de Villeurbanne n’ait été consultée. Cette procédure est perçue, et montrée ici, comme une agression envers la ville. Les majuscules aux termes « VOUS AVEZ FAIT JUSTICE » soulignent que ce texte a un objectif politique, celui de convaincre la population.
Lyon entend annexer Villeurbanne, selon cette affiche, par la force. La phrase soulignant les « prétentions vraiment exorbitantes de la ville de Lyon », outre qu’elle vise à mettre en valeur l’injustice que représente pour le pouvoir villeurbannais cette annexion, fait référence au passé entre les deux communes. Lyon a, en effet, obtenu du président Jean Casimir-Perier le rattachement de la partie villeurbannaise du Parc de la Tête d’or au 6ème arrondissement lyonnais dès 1894. Bien que la ville ait obtenue une compensation financière, ce rattachement a entrainé de nombreuses tensions. Il ne s’agit pas pour les habitants de Villeurbanne d’un sujet nouveau, cette affiche entend donc toucher un imaginaire collectif déjà marqué.
Car cet appel utilise plusieurs formes d’argumentation, dont une tentative de persuasion, visible dans l’utilisation du nombre « 1 Million 400 mille Francs ». Cet argent correspond aux taxes nouvelles qui pourraient être imposées aux villeurbannais en cas d’annexion, en remplacement de l’octroi. Il s’agit des taxes sur l’alcool, sur les débits et les locaux de commerces, sur les chevaux, sur les cercles et les associations, sur les spectacles. L’affiche des autorités villeurbannaises renverse cet argument en déclarant que l’annexion serait très couteuse pour les habitants de la ville.
Il s’agit donc de s’opposer fermement au projet de la municipalité de Lyon, comme le montre l’expression mise en valeur « SANS EXCEPTION ». Il est intéressant d’observer que le rendez-vous est donné à la mairie. Cela montre d’abord que la protestation est menée par le pouvoir local ; et met en exergue le fait qu’il s’agit aussi, pour les édiles, d’une entreprise visant à conserver leur pouvoir et leur influence. Le meeting contre l’annexion a lieu sur la place de la Mairie, on utilise ici un symbole urbain de rassemblement, d’unité. Cela reprend et appuie l’idée de solidarité des habitants de la ville contre ceux qui voudraient les soumettre. Cette affiche est organisée selon un objectif avant tout politique.
Il invite la population a participé à une « enquête ». Cette enquête publique, mise en place par la municipalité de la ville, est lancée le 14 avril par le préfet, M. Alapetite. Les résultats furent sans appel : 2 412 opposants, pour 45 défenseurs de l’annexion. En plus de cela des réunions de discussions sont organisées, dont certaines avec Victor Augagneur. Il faut aussi ajouter un rapport du docteur Jules Grandclément qui répond point par point au rapport lyonnais. C’est la réponse de Villeurbanne au projet de la mairie de Lyon qui apparait dans cette affiche, qui résume et souligne les idées principales de l’opposition anti-annexionniste. Le fait de s’appuyer sur un processus démocratique pour lutter contre ce qui est perçu comme un abus de pouvoir, la décision prise de manière unilatérale par Lyon, est aussi un symbole fort utilisé par le pouvoir villeurbannais.
Le 24 mai 1903, auquel fait référence cette affiche, un meeting est organisé, il est présidé par Francis de Pressensé. C’est le député socialiste de la circonscription, un ancien diplomate et journaliste, et membre du Parti Socialiste français de Jaurès. Il était le premier défenseur la cause villeurbannaise. Malgré l’enquête, et cette manifestation sur la place de la Mairie, le conseil d’arrondissement, puis le Conseil général votent en faveur de l’annexion, dont le dossier est transmis à une commission parlementaire.
A la fin de l’année 1904, le rapport de cette commission parlementaire n’est pas totalement favorable à Victor Augagneur car il faisait de Villeurbanne un arrondissement unique. La lenteur de la procédure, ainsi que la réponse finale de la commission, sont le résultat d’un travail important de Francis de Pressensé, qui bénéficiait alors d’une grande importance au parlement et auprès du gouvernement. Par peur d’une indépendance déguisée, comme ce fut le cas pour la Croix-Rousse, le maire de Lyon fit refuser ces conclusions par son Conseil municipal. Il décida, ensuite d’abandonner sa charge de maire de Lyon au profit de celle de gouverneur général de Madagascar, en raison du semi-échec de ce projet ainsi que de la création de la SFIO – à laquelle il était opposé. Finalement, le 19 janvier 1906, un décret retirait le projet d’annexion du bureau de la Chambre. Cette tentative d’annexion fut donc un échec. Il est intéressant d’observer l’attachement des Villeurbannais à leur indépendance, grâce à ce document. Néanmoins, il faut souligner que les manœuvres politiques, notamment de Francis de Pressensé auprès du parlement, à Paris, firent beaucoup plus pour empêcher cette annexion que le mouvement des habitants de Villeurbanne.
Bibliographie
- Bernard Meuret, Le Socialisme municipal. Villeurbanne 1880-1982 : une histoire d’une différenciation (Lyon: Presse Universitaire de Lyon, 1982), 83-107.
- Philippe Videlier, Usines (Villeurbanne: La Passe du vent, 2007).