Reconnaissance de la colonie pénitentiaire agricole de Oullins comme établissement d’utilité publique
« L’esprit de désordre et de vagabondage chez les jeunes garçons est une des plaies sociales qu’il est de la plus haute importance de combattre[…], le mal existe, c’est un fait constant, le remède est dans les colonies agricoles ». Ainsi s’exprime le Conseil d’administration de la Société Saint Joseph dans son rapport de 1853. Ces prisons aux champs, auxquelles le Conseil fait référence sont une des nombreuses expérimentations pénales du XIXe siècle.
La distinction entre les mineurs et les adultes faite par le Code Civil de 1810 a été le point de départ de nombreux débats sur le traitement de la délinquance juvénile. Des quartiers séparés dans les prisons sont créés, des sociétés de patronage sont mises en place, afin d’aider le jeune condamné à se réinsérer dans la société. Mais dans la seconde moitié de la Monarchie de Juillet, le temps des expériences philanthropiques laisse place à celui de la peur sociale et politique, le gouvernement veut mater cette jeunesse délinquante, susceptible de constituer un terreau contestataire. Les colonies pénitentiaires agricoles avec leur mission moralisatrice reposant sur le travail de la terre et l’encadrement catholique apparaissent comme la solution appropriée. Elles remportent un grand succès et émergent un peu partout en France, comme à Mettray. Leur nombre s’accroit avec la promulgation de la loi d’août 1850 déclarant le placement d’office en leur sein de certaines catégories de mineurs condamnés.
Avant le Second Empire, leur création résulte généralement d’une initiative privée. Napoléon III souhaitant garder le contrôle sur ces établissements pénitentiaires décide de les soumettre à son approbation. C’est dans ce contexte qu’est promulgué le décret impérial du 6 mai 1853. Ce décret adressé au Supérieur de la Société de Saint-Joseph, l’Abbé Joseph Rey (1798-1874), reconnaît la colonie pénitentiaire d’Oullins comme établissement d’utilité publique.
Ce décret se réfère à des lois et des ordonnances antérieures. L’article premier de la loi du 5 août 1850 relative à l’éducation et au patronage des jeunes détenus, prévoit que ces derniers doivent recevoir « soit pendant leur détention préventive, soit pendant leur séjour dans les établissements pénitentiaires, une éducation morale, religieuse et professionnelle ». Elle aborde le thème de la nécessité d’une éducation correctionnelle. Cet article est repris et figure au premier plan du règlement de la Société de Saint Joseph, « la Société de Saint Joseph se voue à l’instruction primaire des enfants pauvres, orphelins et abandonnés » et se consacre à « l’éducation correctionnelle des jeunes détenus et à celle des enfants indisciplinés qui lui sont remis par les familles ».
La Société a à sa charge plusieurs types d’enfants, les indigents livrés à eux-mêmes ; « les jeunes détenus acquittés en vertu de l’article 66 du code pénal comme ayant agi sans discernement, mais non remis à leurs parents » (art. 3 de la loi d’août 1850) ainsi que « les jeunes détenus condamnés à un emprisonnement de plus de six mois et qui n’excède pas deux ans » (art. 4) ; les enfants placés par droit de correction paternelle.
L’enseignement revient au corps religieux des Frères de Saint Joseph. Leur statut est déterminé par les articles cités de la loi Falloux, qui concernent leur nomination et leur révocation.Ils enseignent les rudiments de l’instruction primaire, c’est-à-dire la religion, la lecture, l’écriture, le calcul. Les enfants sont également soumis à l’apprentissage d’une profession manuelle afin d’avoir « les moyens de vivre honorablement », il s’agit majoritairement des métiers d’horticulteur, d’ajusteur et de cordonniers. Reconnaissant qu'elle dispense un enseignement primaire ainsi que l’apprentissage d’un métier en vue de favoriser la réinsertion et d’éviter la récidive, le Conseil d’Etat élève la colonie pénitentiaire d’Oullins au rang d’établissement d’utilité publique.
A la fois établissement d’éducation et maison pénitentiaire, cette institution cherche avant tout à corriger et à normaliser les comportements de ses jeunes détenus en misant sur le mélange du cloître, de la prison, du collège et du régiment pour moraliser cette jeunesse. La colonie d’Oullins se vante d’avoir une mission éducative. Pourtant les trois heures de classe quotidiennes sont dérisoires face aux dix heures de travail. Ce temps d’enseignement ne présente pas d’intérêt financier pour la colonie qui tire une grande partie de ses revenus et de ses profits du travail des détenus. Le retour dans le droit chemin passe par le travail de la terre au grand air, une activité jugée réformatrice qu’ils sont censés poursuivre dans leur vie future. Ces colonies situées à la campagne prétendent écarter cette jeunesse de la ville corruptrice mais elles ne sont peut être au fond qu’un moyen d’éliminer de la ville les vagabonds et les délinquants.
Sous le Second Empire, l’Etat autorise et même encourage la création de colonies privées, tout en veillant à garder la mainmise sur ces établissements. Fondée en 1835, la Société avait pour mission de recueillir et élever gratuitement les « jeunes garçons vagabonds et corrompus, ou délaissés ». Le refuge Saint Joseph n’est transformé en colonie pénitentiaire que le 10 février 1849, après une convention passée entre le ministre de l’Intérieur et le supérieur du refuge d’Oullins, l’Abbé Rey.
Afin d’obtenir la reconnaissance d’établissement d’utilité publique, la Société a dû soumettre ses statuts à l’approbation du Cardinal, le 23 mars 1853 ainsi qu’au préfet du Rhône, le 29 mars 1853. Puis, la Société a pu faire sa demande de reconnaissance à l’Empereur. Les lois énumérées dans ce décret de mai 1853 révèlent le contrôle de l’Etat sur ce genre d’établissement. La loi du 5 août 1850 stipule que si les établissements privés sont fondés et dirigés par des particuliers, ils n’en requièrent pas moins l’autorisation de l’Etat (art.5). Cette autorisation sera potentiellement conférée après étude par le ministre de l’intérieur de ladite demande ainsi que des plans, statuts et règlements intérieurs de ces établissements (art.6). Il en va de même pour le directeur de la colonie, qui doit être agréé par l’Etat (art.7). Une fois reconnue, la colonie est en mesure de recevoir des subventions de la part de l’Etat (art. 20).
Napoléon et son ministre de l’instruction et des cultes mettent en avant l'autorité de l’Etat dans l’article 3 du décret, en rappelant que sans son approbation, l’établissement ne pourrait pas recevoir de détenus. De même, si elle n’exécute pas ses lois et ses statuts, l’Association Saint Joseph pourra être révoquée (article 4). Enfin, d’après l’article 910 du Code civil, ces établissements ne sont donc pas disposés à jouir des dons ou legs au tant qu’ils n’ont pas été approuvés par décret impérial.
Prison, religion et agriculture sont les mots d’ordre de la colonie pour parvenir à la « régénération morale d’une jeunesse pervertie ». La Société de Saint Joseph n’a pas la volonté de chercher les causes de la délinquance, seul son traitement importe. Reconnue établissement d’utilité publique, cette réponse disciplinaire semble convenir à l’Etat. Lorsque, au milieu du Second Empire, ce dernier mesurera l’importance des coûts budgétaires de telles institutions, qui profitent essentiellement aux fondateurs et aux administrateurs, il privilégira les colonies pénitentiaires publiques mais sans jamais remettre en cause leur fondement et leur fonctionnement.
Bibliographie
- PERROT Michelle, L'impossible prison: recherche sur le système pénitentiaire au XIXe siècle (Paris: Edition du Seuil, 1980), 317.
- DUPONT-BOUCHAT Marie-Sylvie, Enfance et justice au XIXe siècle (Paris: Presses universitaires de France, 2001), 443.