« Des traîtres face au glaive de la Loi »- «Jean Rimberg» et la Commission militaire de Lyon

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Le 29 mai 1793, les sections lyonnaises renversèrent le montagnard Chalier et ses partisans. Ces derniers furent remplacés par des hommes tels que Coindre, Ampère ou Bémani, aux sentiments politiques modérés. Dans le même temps, la Convention se trouvait confrontée à une série de soulèvements fédéralistes, principalement dans le sud-est, mais également en Normandie. Elle assimila les événements du 29 mai à un soulèvement fomenté par la faction girondine. L’attitude des nouvelles autorités municipales lyonnaises fut pour le moins ambivalente à cette occasion. Arguant de leur zèle républicain, elles tentèrent dans le même temps de prendre des contacts avec les départements et les autres villes insurgés. Une expédition militaire fut également envoyée dans le Forez à la fin du mois de juin. La rupture entre Lyon et Paris fut effective après l’exécution de Chalier, survenue le 16 juillet. Dans le même temps, la force armée lyonnaise, ayant à sa tête Précy et un grand nombre de royalistes, se mit en place. Le cours des événements s’accéléra alors, le siège de Lyon par les troupes envoyées par la Convention débutant le 5 août. Il dura un peu plus de deux mois et trouva son épilogue dans la sortie que firent Précy et ses troupes à l’aube du 9 octobre.

La sortie de l’armée lyonnaise marqua donc la fin du siège et le début d’une nouvelle phase. Tandis que le fameux décret annonçant que « Lyon a fait la guerre à la liberté. Lyon n’est plus. » était promulgué, la répression pouvait débuter. De fait, une commission militaire, tribunal d’exception mis en place par les représentants en mission, se transporta à Lyon. Sa mission était définie par une loi du 28 mars 1793, qui prévoyait le jugement dans les 24 heures de tout émigré ou « rebelle » pris les armes à la main. A Lyon, cette commission eut vocation à juger les « rebelles » capturés pendant les quelques jours que dura la sortie initiée par Précy ; elle statua dès le 11 octobre 1793 et fit fusiller 106 personnes. Les membres de l’état-major du général susnommé furent parmi les tout premiers à comparaître. C’est dans ce cadre que s’insère l’interrogatoire de « Jean Rimbert, Suisse, général des rebelles de Lyon » en date du 25 octobre 1793.

Si ce document peut apparaître stéréotypé quant à sa forme, il ne l’est nullement quant à son contenu. S’il est stéréotypé, c’est surtout au regard de son organisation interne, reprenant un ordre et des formules convenus. Si au contraire, il se démarque de bon nombre d’autres interrogatoires, c’est du fait de la personnalité même du prévenu. En effet, Jean Rimbert est l’un des plus hauts gradés de l’état-major de Précy à avoir été capturé durant la sortie des « rebelles ». Pourtant, toutes les données afférentes à son état-civil sont erronées. « Jean Rimbert » n’est qu’un nom de guerre. Derrière ce pseudonyme se cache en réalité François-Gabriel de la Roche-Négly, né le 6 octobre 1757 au château de Chamblas, en Auvergne. Il n’est donc pas né « dans le pays de Vaux », n’a pas « environ 50 ans » comme il se plut à l’affirmer durant son interrogatoire. La Roche-Négly participa à la guerre d’Indépendance américaine comme lieutenant au régiment de Gâtinais. L’origine du pseudonyme qu’il se choisit en 1793 est très probablement à lier avec un haut fait d’armes de ce régiment durant la guerre de Sept Ans. Selon la tradition régimentaire, c’est au camp de Rhinberg que l’officier Louis d’Assas poussa son fameux cri « A moi, Auvergne, c’est l’ennemi ! », contribuant par là à éviter aux troupes françaises d’être prises par surprise par les Anglo-Hanovriens.

La Roche-Négly est interrogé par une commission de cinq membres : Massol, président de ladite commission, Béranger, capitaine, Faure, lieutenant, Pellerin, capitaine et David, sergent. Les questions posées au prévenu concernent deux thématiques principales : son action durant le siège et lors de la sortie de l’armée lyonnaise, mais également ses relations potentielles avec Précy ou des correspondants à l’étranger. L’objectif principal de ces questions est bien entendu de déterminer le degré de participation effective du prévenu au soulèvement de la ville. Il est à noter que l’issue du procès est toutefois jouée d’avance, puisque selon les lois promulguées au printemps 1793, tout chef des rebelles ou rebelle à l’autorité légitime est passible de la peine de mort. « Officier-général de l’armée lyonnaise », comme le présente son jugement, La Roche-Négly n’avait donc aucun espoir d’échapper à cette sentence.

Cet interrogatoire donne à voir, en filigrane, ce que fut l’expédition du Forez, opération militaire qui ne prit fin que le 15 septembre 1793, soit trois semaines seulement avant la prise de Lyon par les troupes de la Convention. Le prévenu tente d’induire en erreur ses juges sur ce sujet, mêlant éléments véridiques et informations fantaisistes. Quoi que La Roche-Négly ait pu affirmer, le témoignage du capitaine Claude-Joachim Puy permet d’assurer qu’il était déjà présent à Saint-Etienne lorsque l’armée départementale lyonnaise vint y cantonner. Il arrivait très probablement du Velay, sa région natale. La mort de Servans, commandant du corps lyonnais, tout autant que le charisme et l’expérience militaire de La Roche-Négly, l’imposèrent comme le nouveau chef de l’armée départementale. Au cours de l’interrogatoire, La Roche-Négly confirme être responsable de la capture du général républicain Nicolas lors d’un coup de main mené nuitamment. Cet épisode témoigne d’une part des qualités tactiques de « Rimberg » et, d’autre part, des apports induits par son expérience de la « petite guerre » durant les années qu’il passa dans le Nouveau Monde. Le récit de son service à Lyon, au retour de l’expédition du Forez, apparaît quant à lui sujet à caution. Après avoir défendu le poste d’Oullins, il quitta effectivement sa charge de général à la fin du mois de septembre 1793. Il continua de servir comme simple fusilier, comme en témoigne une lettre du chevalier Henri-Isidore de Melon adressée au général Précy.

Probablement influencée par la logique du « complot », motif récurrent des années 1793-1794, la commission cherche à déterminer les liens potentiels que La Roche-Négly a pu entretenir avec l’émigration, les fédéralistes ou encore les coalisés. Le croyant citoyen suisse, elle en vient à l’interroger sur de possibles contacts avec des correspondants helvétiques. Cette question ne manque pas d’à propos, d’autant que plusieurs membres de l’état-major de Précy ont transité par la Suisse avant de rejoindre Lyon. La Roche-Négly ne dément cependant pas l’espoir d’une aide extérieure, aide qui resta pourtant une chimère durant toute la durée du siège. Les Piémontais, entrés en Savoie à la fin du mois d’août 1793, furent en effet bien vite repoussés par le général Kellermann. Quant aux fédérés marseillais ou jurassiens, ils furent soit vaincus militairement, soit ramenés à une ligne idéologique plus sage par crainte d’une intervention armée des troupes de la Convention.

Ce document rend donc compte du fonctionnement de cette commission militaire, tribunal d’exception devant lequel une comparution équivaut bien souvent à une sentence de mort. Il donne également à voir les liens de solidarité entre Lyonnais et Forez, tout autant que l’existence d’un réseau royaliste cohérent durant le soulèvement.

Bibliographie

  • Bourdin, Philippe (dir.), Les noblesses françaises dans l'Europe de la Révolution, Actes du colloque international de Vizille des 10, 11 et 12 septembre 2008 (Rennes: Presses Universitaires de Rennes, 2010).
  • Riffaterre, Camille, Le mouvement anti-jacobin et anti-parisien à Lyon et dans le Rhône-et-Loire en 1793 (29 mai-15 août), 1 (Paris: A. Rey, 1912).